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Communiqué – “Pour un temps sois peu”
La Petite publie ce communiqué suite à la décision prise par le directeur du Théâtre 13 de déprogrammer le spectacle “Pour un temps sois peu” et aux réactions indignées du secteur théâtral et de la presse culturelle qui s’en sont suivies.
Nous avons envie de partager ce que ces faits nous enseignent et les questions qu’ils soulèvent, et de faire une proposition pour construire ensemble à partir de là.
Ce texte, écrit par Laurène Marx, autrice et performeuse trans -aujourd’hui joué par elle-, a précédemment donné lieu à un spectacle, mis en scène par Lena Paugam et joué par Hélène Rencurel, programmé notamment à Toulouse au théâtre Sorano en novembre. Un collectif de femmes trans a réalisé le 19 novembre une prise de parole et une lecture devant ce théâtre, pour amener les spectateur·ices à se questionner sur ce qu’iels allaient voir. Ce collectif interrogeait notamment la légitimité de faire jouer le témoignage d’une femme trans par une actrice qui ne l’est pas. Nous étions présent·es dans la salle, et l’un d’entre nous était médiateur du débat qui a suivi.
Suite à ces deux événements un article furibond est paru dans Télérama pour alarmer la profession et le grand public sur -je cite- une “triste affaire dont personne ne sort gagnant : ni le lieu ni les personnes trans, dont la mobilisation s’achève par une censure.”
Il faut ici rappeler plusieurs éléments :
La censure(1) ce n’est pas ça : l’Etat n’est pas intervenu, personne ne va passer au tribunal, personne n’aura d’amende ou ne risquera la prison. Alors par respect pour les artistes censuré·es en France durant la guerre d’Algérie, et pour celleux qui le sont dans d’autres pays aujourd’hui, n’utilisons pas ces mots pour qualifier le choix délibéré d’un programmateur. En outre, le théâtre 13 paie la compagnie et seule l’autrice perdra ses droits liés aux représentations (3000 €), personne n’est censuré.
Combien de récits de personnes minorisées(2), racontés de l’intérieur, d’un point de vue situé, vus au prisme des vécus et des imaginaires de celleux qui racontent leur propres histoires avez-vous vus récemment au théâtre ?
Combien de noms de metteur·ses en scène, d’auteur·ices ou d’interprètes trans pouvez-vous citer ? Les artistes trans sont très peu programmé·es, édité·es, médiatisé·es dans le secteur théâtral français, et n’ont de manière générale que très peu accès aux moyens de production(3). De même les rôles de personnes trans au cinéma sont le plus souvent portés par des acteurices cisgenres(4).
Les personnes trans peinent à intégrer les formations théâtrales et à y poursuivre leurs études car elles y subissent très souvent des comportements sexistes et discriminatoires. Elles travaillent moins, car il est souvent considéré qu’elles ne correspondent pas suffisamment à la norme pour incarner tous types de rôles. Ne nous leurrons pas, tous·tes celleux qui vont au théâtre l’observent tous les soirs, cette norme du théâtre français est jeune, blanche, mince, valide, et cisgenre. Ce sont très majoritairement ces corps et ces voix là qui sont considérés comme suffisamment “neutres” pour pouvoir “tout jouer”.
Alors si le peu de textes écrits depuis les transidentités pour raconter des parcours de vie trans sont eux aussi portés par les artistes qui ont déjà un large éventail de choix, que reste-t’il ?
Par ailleurs, il ne s’agit pas ici d’une pièce de répertoire mais d’un récit intime. Ne serions nous pas gêné·es de voir incarner sur scène le témoignage d’une personne noire sur le racisme qu’elle subit par une personne blanche ?
Oui il est inconfortable en tant que professionnel·le de la culture de se faire prendre à partie de manière virulente quand on considère son travail comme ouvert et émancipateur. Rappelons-nous pourtant que la colère des minorités est légitime et vitale et que c’est aux institutions culturelles d’écouter et de chercher à évoluer et pas aux minorités de continuer à se contenter d’une toute petite place (ou de pas de place du tout) en disant merci et en gardant le sourire.
Défendre les libertés de programmation et de création, c’est les défendre pour tous·tes.
C’est aussi s’engager pour ouvrir les plateaux à celleux qui n’ont pas encore eu la place et l’exposition pour raconter le monde de leur point de vue.
Nous invitons les personnes qui occupent des postes à responsabilité dans les arts et la culture à chercher, à lire, à écouter, à regarder encore davantage les productions des artistes les plus minorisé·es et à agir de manière volontariste dans leurs programmations pour “réparer” des siècles d’inégalités et d’invisibilisations.
Certain·es le font déjà, et il est vrai que souvent ce sont les premier·e·s à être critiqué·e·s de ne pas faire assez, de ne pas le faire bien. C’est parfois vexant, nous sommes d’accord, mais il faut en passer par là. Nous faisons nous mêmes partie de celleux qui essaient de faire mieux et nous passons du temps à chercher, à nous tromper, à nous remettre en question. Nous soutenons et accompagnons d’autres structures sur ce chemin. C’est un travail collectif, de longue haleine, et nous devons accepter de faire avec la colère, de faire avec la critique et la confrontation, et d’écouter avec humilité, même si c’est inconfortable.
Des écoles supérieures de théâtre aux scènes des structures institutionnelles, nous voyons les freins que les personnes trans, les personnes racisées, les femmes rencontrent et des conséquences matérielles et autres dommages qu’ils engendrent, nous travaillons chaque jour à transformer cette réalité.
Il est temps de reconnaître, de soutenir, de visibiliser d’autres paroles, d’autres imaginaires. Nous assurons de notre soutien les artistes trans, et tous·tes les artistes minorisé·es.
Nous souhaitons co-organiser en 2023 un cycle de débats et de tables-rondes autour des questions de visibilité et de représentations pour prendre le temps de s’écouter vraiment et de construire ensemble, en acceptant la complexité et le conflit.
Nous appelons les artistes et les chercheur·es, journalistes, acteurices culturelles trans et minorisé·es à nous contacter(5) pour concevoir avec nous ces temps, proposer des thèmes, des témoignages, des communications…
Nous appelons les théâtres et tous lieux culturels toulousains qui le souhaitent à se signaler auprès de nous pour accueillir et co-organiser un des ces temps.
L’équipe de La Petite
<3
Pour comprendre la situation initiale à travers deux articles de presse nationale :
Le Figaro (accès libre) https://bit.ly/3YnIVCt
Libération https://bit.ly/3WjmE71
Pour s’informer sur les représentations trans:
https://representrans.fr
Points de vue de personnes concernées :
Tribune de Flor Paichard
https://bit.ly/3HC6Wji
Événement initial devant le Sorano, appel d’Alice Needle
https://bit.ly/3Wi1dmX
Tribune de Romain Nicolas
https://bit.ly/3HEokUI
Article critique écrit par Rachel Garcia suiteau spectacle et au débat au Sorano
https://bit.ly/3PvBHIv
Compte instagram de Laurène Marx
https://www.instagram.com/laurenemarx/
Pour approfondir à travers des documentaires radio :
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-les-transidentites-racontees-par-les-trans
(1) comme le rappelait la chercheure et militante Marie-Coquille Chambel dans un post du 8 décembre
(2) personnes dont l’accès aux ressources et au pouvoir politique, financier ou social est limité, car ces groupes sont considérés comme étrangers aux normes dominantes, placés dans une position subordonnée dans la hiérarchie sociale normative, et exclus par le ou les groupes les privilégiés de la population.
(3) Les aides à la production du Ministère de la Culture (DGCA, DRACs et réseau labellisé confondus) étaient en 2021 allouées à 73% à des projets portés par des hommes, il n’y a pas de chiffres en France concernant les personnes trans, mais tout porte à conclure qu’elles sont extrêmement peu aidées.
(4) voir Jared Leto dans Dallas Buyers Club, Victor Polster dans Girl, etc.
(5) écrivez nous sur contact@lapetite.fr